Biographie
Pendant longtemps, il avait considéré les animaux comme des bêtes. Bête dans le sens de bête et dans le sens de bête. Aussi n’avait-il que peu d’égards pour les êtres vivants qui croisaient son chemin. Il écrasait sans remords mouches et fourmis. La lascivité des chats lui inspirait un profond dégoût moral. Il faisait la grimace lorsqu’un chien se trouvait sur son chemin. La vue du moindre insecte lui donnait la chair de poule. Il considérait d’ailleurs la poule comme un animal ridicule qui n’avait pas besoin de tête puisqu’elle pouvait aussi bien continuer à courir sans. Il appelait les pigeons des rats volants et les rats étaient à ses yeux des ordures sur pattes. Il n’y avait guère que le cheval qui ne suscitait pas en lui le plus haut mépris. Sans doute à cause de l’importance du cheval dans la mythologie. Il faut dire qu’à l’époque il entretenait davantage de commerce avec le papier qu’avec la société. Il aurait cependant bien voulu y faire sa place parmi ses contemporains. Mais il voulait y entrer à cheval ! Malheureusement, dès sa première séance d’équitation, il fut dévoré de démangeaisons, sa peau se couvrit de rougeurs, ses yeux enflèrent comme le goitre des crapauds, sa respiration devint de plus en plus difficile… On lui connaissait déjà tout un répertoire d’allergies diverses. Il ne lui était, par exemple, pas nécessaire de voir le chat lorsqu’il se trouvait dans un lieu fréquenté par une ou plusieurs de ces bestioles pour sentir dans sa gorge une boule de plus en plus encombrante tandis que les larmes s’écoulaient brûlantes de ses yeux comme si on les avait frottés avec des oignons et que son corps se couvrait de plaques rouges qui ne tardaient pas à enfler. Il s’avéra donc qu’il souffrait également d’une très violente allergie au cheval et dut renoncer à ses ambitions hippotropiques sous peine d’embolie.
Mais un jour, au cours d’un voyage dans un pays lointain, il tomba amoureux. Seulement voilà, le prince charmant montait un grand cheval blanc et son écuyer était un beau chat noir. Allait-il devoir renoncer à son amour tel Orphée perdant Eurydice pour laquelle il avait affronté les Enfers ? Tel Orphée qui n’avait pu, contrevenant au règlement, retenir un regard vers Eurydice, serait-il lui aussi condamné à contempler le spectacle atroce de l’objet de son amour retombant en poussière dans le néant ? Surtout, il ne doutait pas de se voir transformé en crapaud rougissant et suintant lorsqu’il se rendrait à l’invitation du Prince charmant et jeté sur le champ au rebut comme une vieille pantoufle dépareillée. Eh bien non. Ce n’est pas ce qui arriva. À peine eut-il posé sa main sur le flanc du cheval et alors que le chat l’accueillait en se frottant à son mollet, il sentit sur son front où perlait une sueur d’angoisse le coup de baguette magique de la destinée. Soudain, il s’en rendit compte sur le champ, toutes ses allergies avaient disparu. Adieu rougeurs et gonflements, adieu démangeaisons insomniaques, adieu pilules antihistaminiques et sprays à la cortisone ! D’un bond de sauterelle, il rejoignit le chevalier sur sa monture qui partit aussitôt au galop et ils s’enfoncèrent dans l’infini.
Et voilà comment, ayant rencontré l’âme sœur, il reconnut les animaux pour ses frères.